Cette tragédie forme la suite d’une trilogie ayant pour
deux premiers morceaux Laïos et Œdipe. De ces deux personnages nous
devrions savoir la destinée, même si la manière d’Eschyle nous reste inconnue.
I. La grandeur d’un homme
Etéocle, frère de Polynice, est fils d’Œdipe et
petit-fils de Laïos, tous deux rois successifs de Thèbes ; sa mère Jocaste
est aussi sa grand-mère, nous le savons. Après cette découverte, elle se sera
pendue, et Œdipe se sera crevé les yeux. Comme ses deux fils enferment ce
dernier dans le palais, et bientôt veulent le déchoir de son trône, le père profère
les imprécations perpétuant la lignée maudite de Laïos qui le premier avait
désobéi aux dieux : Apollon prédit la chute de Thèbes. Ce dieu avait en
effet interdit au père d’Œdipe la progéniture, ce qui pour les grecs, y étant très
sensibles, signifie l’absence d’enfants honorant et sacrifiant pour le mort en
Hadès.
S’étant querellé avec son frère, Polynice s’enfuit et retourne
avec les argiens attaquer la ville aux sept portes, passant outre un droit —
probablement la raison de la querelle — qui a dû être révélé par Eschyle dans
l’Œdipe perdu. Mais dans les Phéniciennes d’Euripide Etéocle
nous dit : « le trône est un bien si cher à mes yeux que je ne puis le
céder à autrui. » Polynice réclame sa part de la couronne à son frère.
Eschyle taille dans ce dernier un homme qui malgré sa
malédiction sait avoir le caractère résigné au destin et le devoir d’être
entier pour sa ville, et mourir pour elle. Il a en outre le courage contre ce Cœur
apeuré qui croit à la réalisation entière de la prédiction d’Apollon. Nous
lisons souventefois cette opposition entre de vaines paroles et la vérité de ce
que l’on voit — ou ce que l’on fait, — par exemple aux vers 556 et 848 :
Mais l’oracle du dieu sait demander une juste rétribution
à ceux qui commettent une impiété, ou leur descendance, malgré l’oracle initial :
il laissera la ville sauve sous une condition.
II. L’arrogance des chefs argiens :
signes et devenir
Chaque chef argien va se voir attribué une porte de la
ville. Chacun d’entre eux aura peint sur son écu ce qu’Etéocle conclura comme
leur mort, puisque l’hybris est
toujours punie des dieux. Il est intéressant, plus en détail, de voir ici non
l’opposition entre une parole et la vérité plus sensible, — visible, car nous
savons l’importance de la vue pour les grecs (voir Aristote, Métaphysique A), —
mais entre l’image et son interprétation en paroles d’une part, puis la
jactance qu’elle revêt par sa non-conformité aux actes ; par exemple, en
remarquant la pointe d’ironie d’Etéocle, aux vers 397-399 :
Listons maintenant, pour chaque chef argien, la relation
entre l’écu (l’image, associée ou non à des écrits) et la prédiction d’Etéocle
qui pourfend leur hybris. Tydée, auquel s’adresse la réponse du
roi transcrite ci-dessus, en plus de ces cloches et aigrettes, porte un blason
d’orgueil [ὑπέρφρων] : un ciel enflammé d’étoiles avec au centre
la lune en son plein, la plus révérée des astres et œil de la nuit. Etéocle y
voit la nuit qui tombe sur ses yeux, la mort. L’on sait déjà l’importance, pour
les grecs, de la vue, souvent employée, dans sa négation, pour la mort :
aussi ne plus voir la lumière — chez l’Antigone de Sophocle par exemple — est en
soi un malheur. Aujourd’hui l’on peut encore penser non au soleil mais à la
lumière, moins sensible à sa cause absolue qu’à sa particularité, sa qualité et
donc sa différence.
A l’opposé, l’ardeur du
soleil de midi, peinte par la foudre sur l’écu de Capanée avec les
lettres « J’incendierai la ville », est vue comme sa punition par
Zeus porteur de foudre.
Etéoclos, le troisième chef, porte sur son écu un homme armé
gravissant une échelle contre une tour ennemie, avec les lettres « Arès
même ne me jetterai à terre. » Le roi voit qu’il nourrira plutôt cette
terre nourricière.
Le géant Hippomédon porte
un Typhon au souffle de feu, crachant de la fumée noire, avec aux bords du
bouclier des entrelacs. Son sort sera opposé au chef thébain qui le combattra,
ayant lui un écu sur lequel Zeus, invaincu, est représenté.
L’homme-enfant Parthénopée
lui montre un symbole plus expressif pour Thèbes, la Sphinx qui mange de la
chair crue, et en relief, avec sous elle un thébain en creux. Notons ici
qu’Eschyle d’Athènes n’écrit pas « Thébain » mais « Cadméen »,
en raison de l’animosité qu’avaient les deux villes entre elles. Ce sera la
Sphinx qui sera martelée par le thébain.
Amphiaraos le devin nous enseigne que sans blason il ne veut
sembler mais être un héros. Il s’oppose ainsi à tous les précédents sans que
ceux-ci ne laissent de s’opposer entre eux.
Le huitième enfin est Polynice,
qui porte son ardeur de justice. Son destin sera celui de son frère,
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